L'ami Bismuth...

cedric-paris
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Bonjour à tous

Décidément rien n'est "simple" chez Leica. Pourquoi Leica est-il allé chercher ce métal argenté pour faire apparaître des inscriptions blanches sur ses boîtiers noirs? Quel élément bizarre se cache sous ce nom sympathique de "bismuth"?

Le Bismuth (noté Bi) porte le numéro atomique 83 dans la classification périodique des éléments. Il a longtemps été considéré comme l'élément stable avec la plus grande masse atomique. Il est radioactif, avec une demi-vie d'une durée supérieure à l'âge de l'univers (1.9x10 puissance 19 pour l'isotope 209). Il faudrait passer un compteur Geiger sur vos vissants noirs d'avant-guerre pour voir comment ils réagissent (ajoutez à ça un objectif au thorium, et vous voilà chargé comme un Breton sur du granit!).

Le Bismuth venait remplir les gravures des capots de boîtiers noirs des années 20 et 30 pour "peindre" les numéro de série, la gravure "Leica", etc. Parfois, il a disparu. Il semble que sur les Leica plus récents le Bismuth ait été remplacé tout simplement par de la peinture blanche sur les appareils chromés noirs (il fallait y penser!).

Questions aux spécialistes:
- les Leica laqués noirs d'après-guerre ont-ils également des inscriptions au Bismuth?
- sinon, de quand date l'abandon du Bismuth, et pour quelle raison Leica l'a-t-elle abandonné?
- pourquoi avoir choisi le Bismuth au lieu de peinture blanche? (quels avantages?)
- est-ce que d'autres marques utilisaient ce procédé? Ou d'autres objets?
- est-il difficile/possible de s'en procurer pour restaurer des appareils?
Carpe Noctem
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    Rep : L'ami Bismuth...
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cedric-paris a écrit :
sur les appareils chromés noirs (il fallait y penser!).

Note : ile ne sont pas chromés noirs, mais, comme les objectifs, anodisés noir d'après les documentations fabricant, cette dénomination paraissant plus appropriée.

Pour compliquer les choses, on peut aussi préciser que le fabricant ne s'appelle pas, dans ces années, Leica, mais Leitz.
cedric-paris
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Certains restaurateurs de Leica anciens utilisent avec succès l'alliage "Métal de Wood", qui est 50% de Bismuth, puis un mélange de plomb, étain et cadmium qui fond à une température basse, plus basse que l'ébullition de l'eau (vers 70 degrés C, 158 degrés F):

C'est appelé aussi "Alliage de Lipowitz" et vendu sous diverses marques (Cerrobend, Bendalloy, Pewtalloy, Roto158F, MCP158). Le prix est raisonnable: un lingot d'une livre coûte environs 15 euros.

J'aimerais beaucoup faire refaire le bismuth de mon Couplex par une main sûre!
Carpe Noctem
Victor Bel
    Rep : L'ami Bismuth...
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cedric-paris a écrit :
Questions aux spécialistes:

Bonsoir
Je ne suis pas "spécialiste", mais certaines réponses semblent évidentes

- pourquoi avoir choisi le Bismuth au lieu de peinture blanche? (quels avantages?)
>> Parce que c'est beaucoup plus classe que le blanc, c'est doré brillant et en relief quand c'est propre.
il doit aussi y a voir une explication chimique d'accroche sur le laiton par éléctrolyse en rapport avec sa solubilité dans l'acide, sa grande conductivité et sa basse T° de fusion qui le rend malléable.

- les Leica laqués noirs d'après-guerre ont-ils également des inscriptions au Bismuth?
>> Pas que je sache.

- sinon, de quand date l'abandon du Bismuth, et pour quelle raison Leica l'a-t-elle abandonné?
>> Il semble que Leica ait abandonné l'usage du bismuth et des laqués noirs à la guerre. La question utile est plutot de savoir pourquoi Leica a abandonné les laqués noirs à cette époque. Je n'ai pas la réponse mais a mon avis pour raisons économiques, certainement de rendement, et peut-etre de rigidité des capots utilisant du métal incompatible avec ce procédé. Certainement aussi de mode car le chrome etait en vogue à l'époque, le noir faisant moins moderne.

- est-ce que d'autres marques utilisaient ce procédé? Ou d'autres objets?
>> Aucune idée. Utilisation du bismuth ou ses oxydes: fusibles, verre optique, céramiques, médecine, industrie lourde, colorants de feux d'artifice, pseudonymes douteux.

- est-il difficile/possible de s'en procurer pour restaurer des appareils ?
>> Pas difficile d'en trouver, mais l'oxyde de bismuth s'applique par electrolyse en solution acide. Je ne suis pas certain qu'une laque noire de 80 ans apprécie l'opération...

---

Je n'ai aucune info sur la facon dont Leitz décorait ses inscriptions au bismuth mais selon ce que j'ai observé sur les laqués noirs d'époque, je me suis évidemment questionné sur une manière de restaurer ces inscriptions. Je suis arrivé a la déduction qu'une première couche résistante a l'acide couvrait le capot de laiton nu, qu'une gravure y était effectuée mettant le laiton a nu sur les inscriptions, qu'une électrolyse au bismuth y ait déposé l'oxyde. Ensuite l'appret dissous (ou peut-etre conservé ?), les couches de laque noire et vernis final etaient appliquées, le bismuth empechant la laque d'accrocher à l'emplacement des lettrages. Donc leur restauration en état d'origine me semble très... hypothétique pour le moins ! Sauf à repartir d'un capot non gravé, de le graver dans les règles de l'art et de savoir, comme Jack F., restituer une laque noire de qualité comparable.
Simple supposition logique de ma part, je n'ai jamais trouvé aucune littérature sur ce sujet.

Victor
La réponse est oui
cedric-paris
    Rep : L'ami Bismuth...
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Victor, merci de ces précisions.

Victor Bel a écrit :
>> Objets utilisant du bismuth ou son oxyde: pseudonymes douteux.

:) On peut ajouter bijouterie

Le Bismuth est en effet malléable et fond à température assez basse, comme ici dans un verre d'eau chaude:
https://www.youtube.com/watch?v=pVPRsHF7Etw

Pourquoi dites-vous oxyde de bismuth (pur?) et non bismuth ou alliage au bismuth, type métal de Wood? Est-on certain de cela et du procédé par électrolyse en solution acide? L'oxyde et l'électrolyse sont-ils la seule option possible? Quid de l'alliage de Wood?
Carpe Noctem
Victor Bel
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Comme je l'ai écrit, je ne suis certain de rien, mais il faut bien utiliser une méthode efficace de fixation du bismuth sur le laiton.
Le déposer à chaud semble séduisant mais a un petit défaut, c'est qu'il se décollera à la même température.
Les lettres d'un Couplex ne coulent pas au soleil...

Par ailleurs, il me semble que le métal bismuth n'est pas doré, mais son oxyde BI2O3 l'est.
J'avais bien lu, il y a quelques années lorsque je m'intéressais à ce travail, que certains conseillaient l'alliage de Wood pour restaurer les lettrages, mais je n'en ai jamais vu aucune réalisation et serais très curieux de voir une restauration faite avec cette méthode.
Il en existe des photos ?
La réponse est oui
Jean
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Victor Bel a écrit :
Comme je l'ai écrit, je ne suis certain de rien, mais il faut bien utiliser une méthode efficace de fixation du bismuth sur le laiton.
Le déposer à chaud semble séduisant mais a un petit défaut, c'est qu'il se décollera à la même température.
Les lettres d'un Couplex ne coulent pas au soleil...


Parfait Victor tout ce que ta as développé et évoqué. :applaudir:
Mais avec un point de fusion à 271°,4, j'ai vérifié, on peut quand même laisser nos laqués noirs d'avant 39 au soleil ! :cool:
Il est certain que la technique d'inclusion de ce vil métal malléable, certainement à chaud, mise au point par Leitz, suscite quelques interrogations.
On constate que tous les Leicas noirs laqués de cette époque qui nous parviennent, ont gardé cette inclusion extrêmement fine. Seule et souvent, la laque tout autour n'a pas tenu, chassée par l'oxydation sous jacente du laiton.
Je pense que cette présentation a été abandonnée sur les Leicas d'après guerre, en particulier lors de la modernisation des laqués noirs d'avant guerre en modèles synchronisés avec le système installé sur les modèles f des années 50. Ils revenaient laqués noirs avec un nouveau capot et de nouvelles gravures aux sillons remplis de peinture blanche. Ceci tout bonnement, me semble-t-il du moins, pour des raisons de coût et de facilité d'application. A moins qu'un savoir faire ait disparu pendant la guerre avec les techniciens ayant malheureusement perdu la vie. :sad: On peut tout imaginer et comme tu le dis toi-même "nous ne sommes certains de rien".
Jean
Victor Bel
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Bonjour,

Merci Jean,
Cédric (et moi lors de ma réponse mais ce n'etait pas clair) n'évoquait pas le bismuth avec son point de fusion bas pour un métal mais toutefois assez élevé a notre échelle humaine, mais le métal de Wood qui est un alliage de bismuth, de plomb, d'etain et cadmium, et dont le point de fusion est à 70°C. C'est cet alliage qui semble avoir été préconisé par certaines personnes pour restaurer les lettrages. (sans confirmation du résultat)

A noter que le bismuth a un point de fusion assez proche de la température de cuisson d'une laque (~200-250°), mais un peu supérieur.
Peut-etre qu'il aurait été appliqué pur ou légèrement allié à l'étain et pas en oxyde (eg. sans électrolyse) à une température de ~300°C mais dans ce cas, je m'interroge sur la manière dont il puisse avoir été fixé au laiton pour tenir aussi longtemps sans bouger et surtout comment atteindre une précision de la taille d'une lettre sans baver, avec cette manière. De plus, si le bismuth avait été utilisé en produit pur ou légèrement allié, il se serait forcément oxydé assez sérieusement depuis tout ce temps.
D'où ma déduction de l'électrolyse au BI2O3 qui est une technique plus précise et déjà oxydée, donc stable.

In vissae veritas


ps: j'avais personnellement essayé de dépose de la soudure fine a l'etain sur mon IC dont le bismuth avait complètement disparu avec sa laque, dans le but de remplir les gravures. Ce ne fut pas concluant évidemment, mais ca méritait l'expérience au nom de la recherche fondamentale, de la restauration du bel objet et de l'existence la Licorne Bleue...
Qui ne tente rien... ne tente rien :cool:
La réponse est oui
cedric-paris
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Victor Bel a écrit :
D'où ma déduction de l'électrolyse au BI2O3 (...) et (...) l'existence la Licorne Bleue...


Belle déduction, convaincante en tout cas!
Bon, on sait que les licornes ont existé, et que la gravure au Bi(smuth) aussi. Pour les Licornes, on a l'explication de leur disparition.
Pour la gravure au Bi, comment pourrait-on s'y prendre pour (a) obtenir ou trouver du Bi2O3 et (b) réaliser cette électrolyse, en théorie? Serait-ce difficile de recréer les conditions de cette électrolyse?

Faisons revivre le bismuth!
Carpe Noctem
Fift
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Si je ne m'abuse, l'oxyde est censé se former pendant l'électrolyse, non ?

C'est à dire qu'on plongerait le capot ainsi qu'une électrode (anode, cathode, je ne me souviens jamais) de métal Bismuth dans un bain d'acide (lequel ? acide sulfurique H2SO4, histoire de récupérer des atomes d'oxygène quelque part ?). Le capot serait relié au pôle positif d'un générateur de courant continue, l'électrode de Bismuth au pôle négatif. Les électrons arrivant gentillement sur l'électrode de Bismuth formeraient alors des "ions Bismuth" solubles dans l'acide. Lesquels ions, par combinaison avec l'oxygène contenu dans l'acide, libéreraient les électrons accumulés lors de l'accroche sur le capot. Le capot étant relié au pôle positif du générateur, les électrons seraient alors tout heureux de rejoindre la mère patrie après la traversée de ce bain forcé sur le dos des particules de Bismuth.
Victor Bel
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Bonjour,

Merci pour vos précisions pertinentes. Il me semble que vous avez raison.
Mes souvenirs de chimie datent de la Fac et c'etait il y a... un certain temps.
Cela me semble correspondre à la réalité sur le bismuth et ses oxydes.
Je crois que la matière présente sur les boitiers est un oxyde de bismuth stable donc saturé en oxygène, car du bismuth "pur" se serait largement oxydé depuis 80 ans. Effectivement vous avez raison, cet oxyde doit se former par l'électrolyse, pas avant.
Au final je ne sais pas de quel oxyde de bismuth il s'agirait précisément, j'imagine que sa nature dépend du liquide électrolyte employé.
Je m'en remets à vous pour l'expertise chimique et ses liaisons de covalence ou ioniques car sinon il faudrait que je retrouve mes cours, et ça aussi pourrait prendre... un certain temps :cool:
La réponse est oui
Fift
Vieux briscard
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Tiens, en me relisant je viens de voir que j'avais évidemment confondu liaison covalente et liaison ionique (Bi2- et O2- ne pouvant évidemment pas former de liaison ionique) - et puis en me renseignant rapidement sur internet il semblerait que ce soit "un peu" plus compliqué que cela.

Va falloir que je ressorte moi aussi les cours de fac :lol: .
Victor Bel
    ramassage des copies
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Ah oui c'est vrai, ca semble un peu plus compliqué. Selon wiki:
Cosmétique : Dans les rouges à lèvres, on utilise de l'oxychlorure de bismuth (BiOCl) ou de l'oxynitrate de bismuth (BiONO3) pour sa brillance nacrée.
A mon avis, c'est l'une ou l'autre de ces deux molécules colorantes qui a été utilisée par Leitz.

On peut les obtenir:
- soit par électrolyse à l'acide chlorhydrique pour la première
- soit par électrolyse à l'acide nitrique pour la seconde
Pour des raisons de facilité de manipulation et de coût, l'acide chlorhydrique semble plus pratique mais comme l'acide nitrique fut historiquement utilisée en gravure sur cuivre à l'eau-forte, ca me semble la formule que Leitz a dû utiliser sur son capot laiton.
Donc pour l'écriture des réactions chimiques, je dirais quelque chose comme:

acide chlorhydrique : Bi2 + 2(H3O+ Cl-) = 2 BiOCl + 3H2
acide nitrique : Bi2 + 2(H3O+ NO3-) = 2 BiONO3 + 3H2
cqfd

Bon...
fin du partiel, à la cafète maintenant :cool:
La réponse est oui
telemetrix
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costarmorique
N'oublions surtout pas de mentionner son énergie de cinquième ionisation qui, comme chacun le sait, est de 5394kJ.mol-1.
C'est très important et permet de comprendre pourquoi, si l'on a avec soi vieux vissant bismuthé, on retrouve une pêche d'enfer après seulement cinq jours passés à Corfou.
:wink:
Jacques.
Victor Bel
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Reste à trouver avec quel produit protéger le capot et la semelle en laiton nu de l'acide chlorhydrique ou nitrique et c'est bouclé.
A mon avis, faut aller voir vers les graveurs à l'eau-forte pour trouver cette réponse, et on saura comment refaire un capot laqué noir avec inscriptions au bismuth.

peut-etre par et par ici ?
La réponse est oui
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