La famille Leitz a eu une attitude exemplaire pendant cette période sombre de l’Histoire. J’en suis très heureux vu l’attachement que je partage avec vous tous pour nos belles machines à image. Néanmoins, il ne faut pas oublier que l’échelle des responsabilités en cette période a été très étendue, de nul pour beaucoup d’allemands, à extrême pour ceux qui sont allés au-delà de tout ce que l’on peut concevoir.
Dans mon premier message, j’avais freiné mes mots pour rester sobre face à un sujet grave et car je ne pouvais savoir en quelques recherches Internet si l’action du Docteur Erich Hussmann relevait ou non du crime contre l’Humanité. Il est néanmoins très clair que cette personne n’était pas un simple allemand, ni un simple officier de l’armée régulière allemande.
Erich Hussmann était SS-Artz (Médecin SS), SS-Obersturmführer (officier SS) des Waffen-SS, à la RuSHA de Prague. La RuSHA était l’organisation en charge de la pureté de la race aryenne et des peuplements. La RuSHA autorisait les mariages des SS pour le bon maintien de la pureté de la race aryenne. Le RuSHA (et Prague est en Bohème-Moravie) était aussi en charge des déplacements des populations de l’Europe de l’Est, et toutes les populations n’ont pas été simplement "déplacées". Les Waffen-SS géraient les camps de concentration. Certains médecins faisaient de l’expérimentation humaine mortelle sur des déportés. Des médecins ont été condamnés à Nuremberg pour crime de guerre et contre l’Humanité. Le RuSHA a lui-même fait l’objet d’un procès pour crime de guerre et contre l’Humanité.
Voici en quelques mots, ce que j’ai trouvé sur le premier propriétaire de ce Leica. Si l’appareil n’est pas bien-sûr responsable des actes de celui qui a appuyé sur son déclencheur, il me met particulièrement mal à l’aise. J’avais vu des photographies des camps - et notamment des expérimentations humaines par les médecins - lors de projection à Auschwitz et d’exposition à Paris dans les années 90, photographies prises dans les camps soit par les Allemands, soit par les prisonniers eux-mêmes. Cela explique ma sensibilité. Je ne peux pas considérer sereinement l’appareil photo du SS matricule 99756 SS-Obersturmführer Doktor des Waffen-SS.
Nous avons tous des sensibilités différentes par rapport aux objets et à leur âme. Nous leur portons de l’affection quand ils nous accompagnent tout au long d’une vie ou dans ce que nous avons le plus cher à en nous-mêmes, à savoir un peu ou beaucoup selon les photographes de création artistique.
Nous sommes néanmoins là en présence d’un appareil au moins entaché par la marque du nom d’un Waffen-SS. A la sortie de la guerre, les Allemands effaçaient les marquages honteux de l’armée allemande. Il me semble qu’aujourd’hui un tel appareil serait comme d'autres attributs de SS interdits à la vente en Allemagne. Si ce n’est le cas, un tel appareil attirerait de toute façon un jour la convoitise d’un collectionneur déséquilibré de croix de fers, armes, uniformes, livres, affiches nazies…
Personnellement si j’avais en ma possession cet appareil, je ne pourrais le revendre à quelqu’un qui ne sait pas, je ne pourrais prendre le risque qu’il rejoigne un jour une collection d’objets nazis, je ne pourrais le conserver. J’oublierais les 400 euros (et beaucoup plus sur les marchés obscurs) qu’il vaut. J’irais l’enterrer, non pour être un Leica mais pour avoir été l’objet et la fierté d’un SS qui y a fait graver son nom.
En toute sincérité,
Frédéric